SFU Paris a le plaisir d’annoncer l’ouverture d’une rubrique dédiée à la réflexion sur l’intelligence artificielle (IA), ses fondements, ses usages et ses implications pour la formation, la recherche et la pratique clinique. Cette initiative, menée par le Pr. Paul-Laurent Assoun, s’inscrit dans la dynamique de recherche de SFU Paris.
Pour inaugurer cet espace de réflexion, le Pr. Assoun propose une première contribution issue du travail mené dans le cadre du séminaire de la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) à la Maison Suger. Il y pose les bases théoriques de ce qui deviendra un rendez-vous régulier autour de l’IA, à la croisée des champs technologiques, philosophiques, psychanalytiques et pédagogiques.
Ce lancement marque l’ouverture d’un espace de discussion destiné aux enseignants, aux étudiants et à l’ensemble de notre communauté, afin d’explorer les questions soulevées par l’IA dans nos pratiques et nos disciplines.
Nous vous invitons à suivre cette série de publications, qui proposera, au fil des contributions, des perspectives nouvelles sur les enjeux contemporains de l’IA, notamment dans les domaines de la psychothérapie, de la recherche et de l’enseignement.
L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE (IA) ET SES ENJEUX POUR LE SUJET ET LA FORMATION
Paul-Laurent ASSOUN
(I) DÉFINITION ET FONDEMENTS
Cette présentation a pour contexte un séminaire de formation que nous dirigeons à la Maison Suger, dans le cadre de la Maison des Sciences de l’Homme (MSH), sur l’intelligence artificielle (IA). Ce séminaire, habilité officiellement et renouvelable après un bilan scientifique en cours, mené du point de vue psychanalytique, a une vocation transdisciplinaire eu égard à ses enjeux pour l’ensemble des sciences de l’homme.
Il est articulé d’une part à l’Université Paris Nord Campus Condorcet, d’autre part à Sciences Po.
Comme président du Conseil scientifique, je m’y étais employé les années précédentes et cet objet de recherche, avec ses enjeux sociaux actuels, me paraît, outre son intérêt intrinsèque, une occasion privilégiée pour nourrir la dynamique de recherche de SFU Paris.
Un aspect bien concret est, parmi ses nombreuses applications, l’usage de l’IA dans la formation — question qui s’est posée à SFU Paris avec l’usage plus ou moins discutable des ressources offertes et les problèmes méthodologiques afférents. Mais sans doute manquait-il une réflexion fondamentale qui, justement, rejoint les préoccupations du séminaire.
La création de cette rubrique périodique consacrée à l’IA, abordée du point de vue fondamental théorique avec ses retombées pratiques, marque ainsi l’engagement de SFU Paris dans cette réflexion. Elle s’adresse en effet aux enseignants et aux étudiants pour réguler cet usage, mais au-delà, elle contribue pleinement à l’activité scientifique de SFU Paris.
L’intelligence artificielle occupe le champ social de façon exponentielle, s’imposant dans de multiples domaines, en sorte que, quel que soit son avis sur son avènement, elle ne peut être ignorée. Vulgarisée sous sa version robotique, elle renvoie à un champ beaucoup plus large et à une multiplicité complexe de champs d’application.
Si elle suscite de légitimes inquiétudes quant à la mécanisation du monde et de l’humain, elle doit être d’abord prise au sérieux, au-delà d’une vague inquiétude humaniste, comme une configuration du réel incontournable, alors même qu’elle produit une inflation idéologique et se trouve ignorée dans ses attendus épistémologiques et son histoire, ici rappelés et explorés — ce qui donnera une idée de l’avancée du séminaire MSH.
On posera ici, dans un premier temps, les fondements de la « pensée IA » comme science qu’il faut garder à l’esprit, d’autant qu’ils sont très généralement ignorés par ceux qui ne veulent y voir qu’un objet technique porteur d’une espèce de magie.
ORIGINE ET GENÈSE
La date de naissance de l’IA est le congrès de Dartmouth en 1956, réunissant une vingtaine de chercheurs renommés. Méconnaître cette genèse expose à des contresens.
Il faut bien voir que cette conférence n’a pas été une simple promulgation : il y eut des débats et des tensions, mais un besoin nouveau s’était créé et le label « intelligence artificielle » a été créé, non sans débats.
S’il s’agit donc d’un produit américain, toute une tradition de la pensée européenne avait travaillé sur la question d’un art combinatoire rationnel, remontant à Raymond Lulle au XIVe siècle. Il se concrétise avec, notamment, la machine à calculer de Blaise Pascal et surtout le « calcul » de Leibniz. C’est donc un rêve ancien du rationalisme européen, mais qui va prendre une orientation technologique tout à fait différente sur le continent américain.
Les deux fondateurs reconnus sont John McCarthy (1927-2011), qui a inventé ce terme d’intelligence artificielle, et Marvin Minsky. Mais autour d’eux s’est agglomérée une série de chercheurs : ce que l’on peut appeler le « réseau IA ».
FONDEMENTS ÉPISTÉMOLOGIQUES : LA MACHINE ET L’ALGORITHME
Tout part donc de la « machine de Turing » (1936), qui n’est pas une machine physique mais un modèle informel et théorique. Alan Turing en est le précurseur avec sa modélisation.
Génie technique qui lui a permis de déchiffrer le code Enigma des Allemands pendant la guerre.
Là où les gens voient des gadgets techniques, l’IA est partie du formel, avec un modèle mathématique de haut niveau. Le produit essentiel étant l’ordinateur, qui a changé totalement la pratique et qui vient incarner une machine dotée d’une mémoire.
Une MACHINE, notion physique, est un système construit (non naturel) qui fonctionne de façon automatique par sa propre énergie.
Un ALGORITHME, notion mathématique, est une suite finie d’instructions et d’opérations permettant de résoudre une classe de problèmes. Cela renvoie à l’idée de symboles, d’où l’idée de « machine à penser » (Couffignal, 1952).
Tout part donc de la rencontre entre ces deux dimensions.
Nous sommes donc entrés dans l’ère de la « rationalité instrumentale » : moment où le symbole s’incarne dans la machine et où la machine reproduit les symboles.
TRANSDISCIPLINARITÉ
À partir de ce noyau de « sciences exactes » vont apparaître des sciences annexes, notamment :
- La « science de la communication », qui systématise le fonctionnement de l’information.
- La « cybernétique », science de la régulation et de la communication des machines et des êtres vivants.
Nous aurons l’occasion d’y revenir.
PROBLÉMATIQUE
Il fallait rappeler les bases de l’intelligence artificielle pour en arriver à la question de son application dans les sciences de l’homme et les pratiques sociales.
L’intelligence artificielle a pour objet de produire par simulation une intelligence (machinique et algorithmique).
Machine dont la performance est par là même supposée décuplée.
QUESTIONS GÉNÉRALES
- Comment est-on passé de cet objet mathématique à son usage social par une « idéologisation » ?
- Qu’est-ce que cette intelligence de la machine apprend de l’intelligence humaine ?
- Comment penser le lien entre « semblant » et vérité ainsi que le statut du sujet face à la machine ?
- Y a-t-il un inconscient de la machine et comment le situer face au sujet divisé des processus inconscients ?
PROGRAMME
Il s’agira de centrer l’interrogation sur la question qui nous intéresse spécialement :
LA À L’ÈRE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE :
FORMATION ET PRATIQUE
Il s’agira de dégager la question du lien entre les thérapies du sujet et la mécanisation du monde, qui concerne le psychothérapeute de demain et qu’il ne peut ignorer, la psychanalyse permettant d’y introduire un point de vue clinique.
Nous aborderons des thématiques qui permettent l’avancée de cette question très vaste.
Prochain thème :
PORTRAIT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : LE SUJET FACE À LA MACHINE